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Un maître suivi

Il serait fastidieux de citer toutes les fois où les élèves du lycée- collège ont "honoré" leur maître. L'écrit qui suit est celui d'une élève de première paru dans le Courrier Balzacien en 1985. Il est une excellente illustration de la symbiose qui s'est établie entre notre établissement et l'écrivain.



A la manière de ...

La cour à cette heure était pleine, et les élèves ne faisaient qu'y continuer les mouvements désordonnés qu 'y effectuaient quelques minutes auparavant les nuées d'oiseaux qu'attirait ce début de printemps; au milieu de la grande symphonie du tapage des écoliers se détacha une voix aigüe, dont on ne sut tout d'abord si elle faisait partie de l'habituel babillage des pensionnaires ou si - quos ego feminin -, c'était le, cri impérieux de l'un des membres de cet étrange gouvernement des écoles qu'est l'administration : un mot qui faisait frémir tous ces épidermes électrifiés par l'impétuosité de la jeunesse et par la chaleur accablante de la matinée. Haïe par les uns, redoutée par les autres, et acclamée par certains, elle représentait, retranchée dans la partie centrale du lycée, le poumon gigantesque de ce corps admirable dont on ne pense pas assez qu'il fournit chaque année à la nation française son nouveau contingent de citoyens éduqués et responsables!
Pendant un instant, les jeux, les rires, les murmures cessèrent et c'est au milieu de ce point d'orgue que se détacha, seulc silhouette mouvante parmi ccs corps figés, la figure bien connue de Mme Nuringen.


Delphine-Amélie-Edouarde Nuringen, que n'ignorait aucun des élèves de ce lycée, en était la bibliothécaire, c'est-à-dire qu'elle gouvernait dans l'ombre de la salle de travail, tout ce petit peuple, en lui distillant bienveillamment les moyens d'un savoir dont il était avide ... Nantie de ce pouvoir mystérieux, elle avait réussi à faire s'arrêter un tumulte qui semblait aussi nécessaire et imperturbable que le battement d'un cœur, et c'est donc sans étonnement que l'on vit répondre à son injonction un élève que rien ne distinguait particulièrement des autres.
- Daniel Legandin, commença Mme Nuringen, pouvez-vous enfin me donner le texte que je vous avais réclamé?
- C'est-à-dire que ces derniers jours, j'ai eu beaucoup de « cours sup» malgré mes « colles sautées » ... Mais je vous promets que ce sera fait. Je vous donne ma promesse pour demain!
- Bon, et bien alors pour demain, j'accepte, ajouta Mme Nuringen qui s'éloigna d'un pas alerte, laissant là le petit être contrit, encore engoncé dans de chauds lainaiges d'hiver.
Un coup d'œil rapidement jeté sur un proche passé éclairera peut-être la situation que doit suggérer l'amicale altercation des deux interlocuteurs de ce dialogue. En décrivant la fébrilité de ce début de printemps et de cette presque - fin d'année, cette esquisse expliquera par quels hasards prévisibles cette conversation avait pu avoir lieu.
Une fête, en effet, avait été décidée d'un commun, mais rare, accord entre les élèves et l'administration. Il s'agissait de rendre un hommage à l'éponyme de ce glorieux ·ly·cée, el c'est ce dont s'entretenaient donc nos deux héros:
Mme Nuringen, en sa qualité de représentant culturel incontesté aux yeux des élèves avait demandé à l'élève Daniel Legandin de « torcher » un petit « à la manière de ... ». Quelque chose de court, de simple, et qui pourrait se lire entre deux numéros le jour de la fête. Legandin avait donc cédé à ses instances, et promis le texte, tout en en différant sans cesse la composition au lendemain.
Faut-il ajouter que les promesses ne sont jamais absolues. et que leurs résultats ne dépendent que des individus : promettre est un marche-picd pour le héros, un trésor pour l'homme de bien, une montagne pour le distrait, et pour l'affairé un abysse.
Daniel Legandin était précisément un élève affairé, toujours pressé et en retard, bien qu'il habitât tout près du lycéc. Il n'avait d'ailleurs pas passé son enfance dans la capitale, étant originaire d'un petit pays au sud de Granville, où il avait été élevé au milieu des basses-cours et des étables par une vieille dame un peu sourde, sa grand'tante maternelle. A dix ans, ses parents décidèrent de l'envoyer « faire les études à Paris» afin de s'instruire avec Racine et Crébillon père et fils, et c'est ainsi qu'il se retrouva un jour d'hiver, une petite valise à la main, dans le hall glacial de la gare Montparnasse, prêt à conquérir ses diplômes. Cela fais'ait donc huit ans qu'il était installé, et le petit sauvage des bocages avait été passablement poli par les mondanités parisiennes; néanmoins, il gardait toujours le souvenir ému et nostalgique de son enfance pastorale, et ceci avait développé ehez lui une tendance au lyrisme qui se reflétait dans la pâleur de son teint et son goût pour l'écriture.
Ce soir-là, quand Daniel Legandin rentra chez lui, il entreprit de rédiger le texte que lui demandait Mme Nuringen. Assis à sa table de travail, il voulait vaille que vaille tenir sa promesse, sans pour autant que son imagination acceptât de l'aider à sa tâche. Il faut dire que son imagination avait depuis une heure la forme très reconnaissable d'une bouteille d'un litre de bon Armagnac. Il avait beau fermer les yeux, les rouvrir, puis les refermer à nouveau, rien ne venait: il lui était décidément impossible d'écrire quoi que ce soit. Et pourtant, là, juste en face de lui, se dressait le spectre décharné de la Promesse Non Tenue, dont les longs bras maigres semblaient prêts à le happer vers le gou ff re du Remords.
Mais soudain, il saisit une plume et se mit à écrire quelques mots, que peut-être un jour les historiens rangeront au nombre des textes qu'ils élèvent jusqu'à l'intitulé de « pièces justificatives ».
Voici donc ce curieux message:


« ÉCRITS DE M. HONORÉ DE BALZAC :
EXIGEZ L'ORIGINAL INIMITABLE
REFUSEZ LES CONTREFAÇONS ! ! ».


Nadine Lamari
Elève de première supérieure
Lycée Honoré de Balzac
Avril 1985


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